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Association Méridienne Atelier Le spiegelboog Historique du spiegelboog

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Historique du spiegelboog
(arbalestrille à glace ; arbalète à miroir)



En 1662 un certain Joost van Breen fait éditer à la Haye un manuel de navigation intitulé Stiermans Gemack, Ofte een korte Beschryvinge vande Konst der Stierliede (L'aisance du timonier ou une courte description de l'art du timonier).
Le treizième chapitre de cet ouvrage est consacré à un instrument conçu par l'auteur, permettant de déterminer la latitude d'un lieu par la mesure de la hauteur du Soleil ou de Polaris en prenant leur image dans un miroir. Joost van Breen donne à cet instrument le nom de spiegelboog (bâton-miroir).

On sait peu de choses de Joost Van Breen. Il vivait à Middelburg (province de Zélande) où il exerçait probablement la fonction de professeur spécialisé dans l'enseignement de l'art du pilotage.

Vers 1660 il aurait été chargé par la Compagnie hollandaise des Indes orientales (VOC1) d'assurer à Middelburg l'administration des biens, des fournitures et des munitions des navires de la VOC.

Le 25 septembre1660 les États Généraux des Provinces Unies lui accorde le privilège de la fabrication et de la vente du spiegelboog (bâton-miroir), instrument de navigation qu'il vient de concevoir.
Il obtient également la possibilité d'en équiper les navires de la VOC.

Il devient ensuite examinateur au service de la Chambre d’Amsterdam de la VOC.

Outre son ouvrage de navigation Joost Van Breen avait composé des pièces de théâtre-comique et des farces.

Spiegelboog
Chapitre 13 du Stiermans Gemack (1662)

books.google.fr

Le spiegelboog apporte une innovation majeure dans le domaine des instruments dédiés à la mesure de la latitude en proposant l'utilisation d'un miroir.
Soixante-dix ans avant l'invention de l'octant à réflexion de Hadley et Godfrey2 cette innovation fait entrer les instruments de navigation dans l’ère de l’optique.
L'instrument à réflexion unique de Robert Hooke3 (1666), le quadrant réfléchissant de Newton4 (1699), instruments contemporains du spiegelboog ne dépasseront pas le stade de la description.
Le spiegelboog est le seul de ces instruments à réflexion ayant connu une diffusion.

Instrument à réflexion unique de Robert Hooke
d'après Jean Randier

Quadrant réfléchissant de Newton
d'après Jean Randier


Son usage se répand rapidement dans la marine marchande et la marine de guerre des Pays-Bas mais il reste totalement ignoré dans les autres marines européennes.

Cette diffusion insolite peut s'expliquer par la faible distribution du livre de Joost van Breen hors des Pays‑Bas.
Cet ouvrage qui réunit l'ensemble des connaissances des marins hollandais vers le milieu du 17e siècle, est traduit en anglais sous le titre Helmsman's Ease, Or a Short Description of the Art of Helmsmans qui reprend le titre de l'original hollandais. Mais il semble qu'aucune traduction française n'en a été faite.
La seule trace de l'instrument dans des documents en langue française est sa figuration sur une gravure hollandaise intitulée Het Volmaakte Schip (le navire parfait), imprimée sous forme d'affiche vers 1700. Il figure sur les versions allemande et française de cette affiche.

Cette faible diffusion peut aussi s'expliquer par le rapport à leurs instruments des officiers et pilotes des marines anglaises ou françaises. Ils choisissent en majorité des quartiers de Davis qu'ils acquièrent à leur frais et conservent quand ils changent d'embarquement.
Les officiers hollandais n'achètent pas leurs instruments.
Ils sont équipés par les armateurs, soit la VOC, soit la Staatse vloot5 qui considèrent que le bâton de Jacob est, de loin, beaucoup plus fiable que les autres outils de mesure.
Les marines hollandaises adoptent le spiegelboog dès sa présentation et leurs officiers en adoptent l'usage, en conservant celui du bâton de Jacob conventionnel, pendant près d'un siècle, bien au-delà de l'invention de l'octant.

Het Volmaakte Schip (18e s.)
Affiche bilingue

sanderusmaps.com

Spiegelboog
Détail de la gravure Het Volmaakte Schip (18e s.)

sanderusmaps.com

Le spiegelboog a aujourd'hui disparu. Aucun instrument d'origine n'est connu et aucun élément d'un instrument ancien n'a été identifié car il est difficile d'en distinguer les restes de ceux d'un bâton de Jacob.
L'instrument ne survit que dans l'ouvrage de Joost van Breen, dans quelques documents et ouvrages conservés dans les services d'archives et, surtout, dans les travaux de Nicolàs de Hilster, collectionneur et chercheur hollandais.
La redécouverte et la re-création du spiegelboog lui sont dues. Ses recherches sur l'origine et l'utilisation des instruments nautiques et géodésiques l'ont amené à re-créer des instruments disparus et à les utiliser en conditions réelles pour déterminer leurs possibilités.
La présentation par Méridienne du spiegelboog doit tout à son travail de reconstruction de cet instrument disparu.
http://www.dehilster.info/navigation.php

1VOC : Vereenigde Oostindische Compagnie (Compagnie néerlandaise des Indes orientales).

2John Hadley (1682 – 1744) astronome anglais et Thomas Godfrey (1704-1749) inventeur américain. Ils inventent l'octant vers 1730, indépendamment l'un de l'autre.

3Robert Hooke (1635 – 1703) scientifique anglais.

4Isaac Newton (1642- 1727) mathématicien, astronome, philosophe, …, anglais.

5Staatse vloot : Flotte des États, marine de guerre néerlandaise.

Annexe : notes de Christiaan Huygens concernant le spiegelboog (1662)

Ces observations peuvent être consultées dans leur langue d'origine et leur traduction française (présentée ci-dessous) dans les Œuvres complètes de Christiaan Huygens. Tome XV. Observations astronomiques (1925).

https://www.dbnl.org/tekst/huyg003oeuv15_01/huyg003oeuv15_01_0054.php

En 1662 Christiaan Huygens prend connaissance de l'invention de Joost van Breen. Il rédige deux paragraphes d'observations à propos de ce nouvel instrument et en présente un croquis.

Croquis de l'instrument par Ch. Huygens.
On lit sur le croquis "plat glas sonder foelie"
(verre plat sans tain).
Œuvres complètes. Tome 15.

Le premier paragraphe concerne le bâton de Jacob.

Dans les arbalètes ordinaires avec lesquelles on mesure la hauteur d'un objet situé devant l'observateur, c'est un inconvénient qu'on ne peut atteindre la croix lorsque les dimensions de ces instruments sont un peu grandes, et qu'on est donc forcé d'éloigner l'instrument de l'œil pour faire glisser le bras en avant ou en arrière, ce qui a pour conséquence qu'on ne peut déterminer exactement une hauteur.

En deuxième lieu le mouvement du globe de l'œil produit, comme on sait, une erreur de mesure qu'il est impossible de compenser exactement.
Et cette méthode ne peut pas du tout être employée lorsque le soleil n'est pas loin du zénith.
De plus on ne peut facilement tenir un verre foncé devant l'œil.

Le second paragraphe concerne le spiegelboog.

Que le petit miroir est difficile à atteindre à cause de sa distance lorsque l'arbalète est longue et aussi qu'il est malaisé de tenir l'instrument en mains lorsqu'on s'en sert de cette façon, surtout au moment où l'on fait glisser le petit miroir.

Que le petit miroir qui doit glisser sans trop de frottement peut facilement se disloquer d'un brin ce qui cause immédiatement une erreur notable.

Qu'il est difficile d'obtenir l'image du soleil ou de l'étoile sur le petit miroir lorsqu'on tourne le dos à l'astre.

Qu'on ne peut mesurer avec son instrument une hauteur inférieure à 10° ou 11°.

Que sa petite lame de dessus EC1 est superflue et qu'il n'est pas nécessaire que l'image de cette lame soit observée dans le petit miroir, attendu qu'au lieu d'employer cette image il suffit de tracer une ligne sur le petit miroir avec un diamant.

1Voir illustration en début de texte.